mercredi 15 novembre 2006, par Jacques
Lors d’un entretien avec Les Echos le 9 novembre dernier, Nicolas Sarkozy a proposé de supprimer les droits de succession tout en maintenant l’Impôt de Solidarité sur la Fortune :
"Ainsi, je suis pour la suppression des droits de succession, parce que laisser le produit d’une vie de travail à ses enfants, c’est conforme à l’idée que je me fais du travail et de la famille. Discutons des modalités : ce qui compte c’est l’idée. Moi je suis pour la taxation de ceux qui ont le plus d’argent. Pas question de supprimer l’impôt sur la fortune, par exemple, mais l’impôt sur les successions c’est différent. L’égalité des chances, cela ne consiste pas à aller prendre le patrimoine de celui qui a travaillé toute sa vie ; l’égalité des chances, cela consiste à faire en sorte que l’enfant qui naît dans une famille qui n’a pas de patrimoine ait les mêmes chances de réussir qu’un autre."
Quels seraient les effets d’une telle mesure ?
Posons nous tout d’abord la question du patrimoine. L’INSEE nous apprend qu’en mai 2000, la moitié des ménages de salariés déclarent un patrimoine supérieur à 67 000 euros. Le montant du patrimoine au-dessus duquel se situent 10 % des ménages est, quant à lui, d’environ 242 000 euros.
Par ailleurs, le patrimoine est très concentré : les 10 % des ménages les plus riches en termes de patrimoine possèderaient, en 2000, 44 % du patrimoine total, alors que les 50 % de ménages les moins riches n’en possèderaient que 9 %.
Pour faire simple, il y a un abattement global sur la succession de 50 000 € et un abattement par enfant de 50 000 €. Soit, si un enfant hérite, un abattement de 100 000 €, si trois enfants héritent, un abattement de 200 000 €. Ensuite, pour tout ce qui est au-delà de l’abattement, et en deçà de 520 000 €, il y a une taxation à moins de 20% pour les successions en ligne directe. Elle est (en ligne directe toujours) au maximum de 40% lorsqu’on dépasse 1 700 000 €.
Ce qu’on peut voir, c’est que pour la majorité des français (les plus pauvres) cette mesure n’aura absolument aucun impact. Et que même pour un ménage parmi les 10% les plus riches, s’ils ont deux enfants par exemple, cela représente une taxation de 9 200 € pour une par reçue de 121 000 € par enfant (242 000 - 50 000 - 2 x 50 000 = 92 000 * 20% = 18 400 ).
On peut conclure que cette mesure qui permettrait de "laisser le produit d’une vie de travail à ses enfants" ne touche réellement que moins de 10% des ménages. Cette mesure favorise par conséquent de façon manifeste les plus riches, dont les amis et soutiens de Monsieur Sarkozy. Nicolas Sarkozy est magicien, il sait transformer un clientélisme éhonté en une mesure populaire.
Comme nous l’avons vu, supprimer les droits de succession veut dire préserver les fortunes des plus riches, vu que l’imposition reste faible pour 90% des ménages.
Cela favorise par conséquent la mise en place de dynasties au sein de la classe politico-industrielle, et permet de s’assurer de la mainmise de certains sur le pouvoir économique et politique. Il existe déjà en France des dynasties de ce type (voir les familles Dassault, Debré, Chirac, Mitterrand, Le Pen, Bettencourt, Rotschild, Lagardère...).
Si on permet de transmettre intégralement l’héritage, il est certain que nous aurons mis en place toutes les conditions pour une hérédité de la classe dirigeante, et que le mérite ne sera certainement pas le facteur de la "réussite" sociale. Les enfants des classes les plus aisées ont déjà des avantages liés à l’éducation et au réseau de connaissances de leurs parents, ils auront en plus la totale assurance du patrimoine ancestral.
"L’égalité des chances, cela ne consiste pas à aller prendre le patrimoine de celui qui a travaillé toute sa vie ; l’égalité des chances, cela consiste à faire en sorte que l’enfant qui nait dans une famille qui n’a pas de patrimoine ait les mêmes chances de réussir qu’un autre."
Une fois qu’il est mort, celui qui a travaillé toute sa vie n’a plus besoin de son patrimoine. Le transmettre à ses enfants, c’est indéniablement les favoriser par rapport à ceux qui n’ont rien.
Avec la suppression des droits de succession, nous nous assurons que l’enfant qui naît dans une famille qui a un grand patrimoine aura absolument toutes les chances de son côté.
Supprimer les droits de succession, c’est aussi et surtout taxer plus l’argent gagné par le travail, qui dispose de conditions d’imposition nettement moins favorables à celui dû du fait de la naissance. Ce n’est pas ce que j’appelle revaloriser le travail.
Sources :
INSEE : Évolution des inégalités de patrimoine chez les salariés entre 1986 et 2000
Service-public.fr : Calcul des droits de succession et de donation
L’Expansion : Droits de succession : Les pièges de l’abolition